24 mai, 2010

Le grand-père de Fanchon, sa vie, sa mort

Le grand-père de Fanchon était riche, la grand-mère aussi, obligatoirement, parce qu'à l'époque, on se mariait entre riches avec des contrats pour que les mariages durent. Ils avaient de la terre, beaucoup et de la bonne, des fermes, bien placées, en périphérie de la ville, ce qui fait qu'elles avaient deux valeurs, une du moment, rurale, mais aussi et mieux encore une autre à venir, urbaine, quand, dès que la ville s'étendant à la faveur des "trente glorieuses", les promoteurs arriveraient. Le grand-père de Fanchon le savait et, malin, les attendait. Il avait aussi le monopole du ramassage des ordures sur la ville et ses environs, ce qui fait qu'en plus d'une rente versée par les communes, il en retirait de quoi amender ses terres, pour toutes ses fermes, dans ce temps-là, les ordures, sans plastiques et sans emballages, même en ville ça faisait du "fumier", bref, de l'engrais... En attendant, il menait belle vie. Sa femme était une petite bonne femme toute de noir vêtue. Lui, il se sapait en mylord, en velours, chapeau à la Bruant, genre gentleman-farmer, il portait beau, roulait dans une traction quinze, le gros modèle, il n'eut pas le temps de passer à la DS... Quand il ne s'occupait pas de ses affaires, il allait à la chasse. Normal !
Comme il était plein aux as et qu'il était plutôt beau mec ou l'inverse, c'est selon, il avait des maîtresses, mais l'âge venant, la sagesse aussi sans doute et peut-être l'amour tardif, il finit par n'en n'avoir plus qu'une. Il faut dire que sa légitime avait du être chiante avant que d'être cocue, je sais c'est pas une raison. Quand, sur les quatre-vingt ans, il commença à donner des signes de faiblesse, puis un triste jour, d'impotence, sa femme qui ne manquait pas de dignité et surtout possédait un sens inné du devoir, de la justice et du chrétien partage, se rendit chez la maîtresse et l'invita, vu qu'elle en avait quand même un peu profité quand il était valide, à venir le soigner avec elle, ce qu'elle fit.
Quand il mourut, bien qu'il eût très clairement spécifié qu'il ne voulait pas être enterré à l'église, sa veuve un peu vengeresse décida que "pour une fois, il fera comme tout le monde !". Seulement, en 1910, au moment de la "séparation" il avait racheté à vil prix quelques biens du clergé régulier en panique... Simonie, il était fiché, excommunié ! pas de messe, pas de sermon, pas d'église, pas de cierges, pas de curés, d'enfants de choeur, pas de condoléances attristées, pas de notables ! le cimetière, directos, sans fioritures aucunes ! Lui, c'est ce qu'il voulait ! C'était sans compter sur l'énergie, les bonnes manières et l'excellente mémoire de la veuve. En échange d'un substantiel bakchich au chancelier de l'évêché qui tenait bien ses comptes et ses registres, on retrouva la trace d'un cochon que le défunt avait fort à propos offert pendant la guerre au patronage de la paroisse Saint Bidule. L'excommunication qui, Dieu merci ! n'était pas plénière, fut levée dès réception de la somme promise, et en espèces car sans bouder la scripturale, l'évêché restait encore très attaché à la monnaie fiduciaire...
Le vieux queutard impie fut donc, payant de ses deniers et ce bien malgré lui et pire encore, contre ses volontés, pleuré, béni, encensé, couvert d'éloges, puis très chrétiennement enseveli.
Tout ça s'est passé, je pense, en 1966...

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