14 novembre, 2010

Sur le perron de sa maison, mon père

Pour la première fois, je vous montre de l'intime !
Voila ! Il doit avoir la cinquantaine, à peine peut être. Il est en pleine possession de ses moyens artistiques et intellectuels. Ne vous y trompez pas, il ne "pose" pas au sens social du terme, non, il pose au sens photographique, c'est encore et pour longtemps encore l'époque de l'argentique, c'est couteux, faut pas se planter, donc on pose... et puis, derrière sa clope roulée main, si vous agrandissez l'image vous le verrez, il se marre.
Il est au seuil de cette maison qu'il a fait construire pour y loger ses sept enfants, son beau-père, plus-plus-plus, la bâtisse est ouverte. Une sorte de tour sur trois niveaux, au milieu d'un champ d'un demi hectare, avec des murs d'une épaisseur à tenir un siège médiéval, quand il y avait la place pour construire de "plain pied"... Je rappelais il y a quelques heures à Lesafaker, que d'ailleurs le terrain s'appelait "La tour à Bourdin". Et comme ma (notre) mère et lui étaient des gens de goût, ils avaient fait faire, ce qui était ruineux, des fenêtres "à petits bois", comme jadis...
Alors pour simplifier, c'est le portrait d'un homme qui fut en son temps le meilleur de sa profession. Qui avait une oreille exceptionnelle et qui inventait un tas de trucs... (la machine à laver le linge à ultra-sons dans les années 50, des enceintes acoustiques qu'il fabriqua et vendit en quantité). Il faisait partie de ces gens qui sont conscients de leur valeur et ce de la bonne manière, par la réalisation probante, irréfutable d'une oeuvre physiquement contrôlable.
C'est lui m'a fait lire en vrac, Céline, Barbey d'Aurevilly, Flaubert, Maupassant, Villiers de l'Isle Adam, Bloy, Huysmans, et Claudel et Jarry, et Mauriac, bien sûr qu'il montrait en exemple pour sa concision efficace ! mais aussi Rabelais, puis les poètes de la Pléiade et Louise Labbé qu'il aimait particulièrement et Max Jacob et Jehan Rictus et Gaston Couté et puis plus récemment, comme par effet retard, Maritain quand j'ai par hasard retrouvé "Le paysan de la Garonne", le dernier livre d'ycelui et qui lui appartenait. Il ne put en revanche jamais me convertir à son dieu littéraire, Balzac. Comme il était d'une mauvaise fois réjouissante, s'il respectait Dumas, il mettait dans le même sac Zola, Eugène Sue et Xavier de Pontépin.
Enfin, c'est à lui que je dois ce goût obsessionnel du jeu de mot et surtout du contrepet. Il avait aussi car il était multiple, des lubies ésotériques à se taper le cul sur le nombre d'or. Bref, c'était "une nature".
Il prétendait voter Laguiller à chaque premier tour... Peu importe que ce fut vrai ou non puisque pour le second tour, rusé, il ne disait rien de son choix. A sa manière, anar de droite, c'est bien possible.
Bien sûr il aimait la musique et pas uniquement la musique ancienne dont il fut par son art et ses recherches l'un des meilleurs et des premiers sérieux serviteurs. Il aimait, Ravel, Poulenc. Il était, en tout, atypique.
Et puis, et puis, il aimait la bouffe, les huîtres, les moules, les pétoncles, les praires, les oursins et les araignées de mer qu'il avait bien raison de préférer aux crabes. Il cuisinait fort bien et dès les années 60 nous faisait, le dimanche après la messe, un curry à se damner quand le curry était en province à l'époque une denrée rare, quand elle n'était pas totalement inconnue. Il mangeait des harengs fumés avec des pommes de terre au petit déjeuner, j'en rêvais, enfant, mais n'y avais pas droit ; je me suis rattrapé depuis. Il aimait le vin rouge (contrairement à sa mère dont je vous ai déjà dit le goût pour le vin blanc), et le whisky que ma mère avait introduit à la maison au prétexte que c'était "bon pour les artères" après avoir lu dans Match ou la Vie Catholique qu'un célèbre cardinal avait été sauvé d'un infarctus imminent en s'enfilant cul-sec une bouteille de Johnny Walker... Le sérieux médical y perdait sans doute ce que la foi y gagnait, qu'importe ! Il avait en plus d'une oreille merveilleuse, un odorat terrifiant, trouvant en rentrant au bout de huit jours d'absence, le citron pourri tombé derrière un meuble...
Alors, ne vous fiez pas à son costume... Un jour je vous montrerai ma mère. Dans le genre frappadingues parfaitement "sociabilisés", que ce soit l'un ou l'autre, je n'ai jamais rencontré mieux...
Je parlai de lui récemment avec l'un de ses amis qui est resté le mien. Nous nous sommes rendus à l'évidence : jamais cet homme n'a fait volontairement ou sciemment de mal à quiconque. Y en a pas tant que ça, voyez-vous...

1 commentaire:

LESA FAKER a dit…

ah oui ! les fruits de mer et le goût de la bonne chair, c'est de lui que ça vient, c'est sûr.

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