22 octobre, 2009

Chapitre 1, page 1 et 2

Dès que je vois des bouquins en souffrance, je les ramasse. Je ramasse un peu n'importe quoi, c'est à dire tout, et puis après je regarde... J'ai ainsi récupéré une série de ces bouquins populaires du début du siècle dernier avec une couverture rigide, superbe, et ce beau papier que le temps a bistré et tavelé. Comme tout ça était un peu humide, j'ai trouvé collé à l'un d'eux une feuille seule et d'un autre format, un peu plus petite, d'un papier différent, une feuille recto-verso, unique rescapée d'une autre collection. Un chapitre I, pages 1 et 2. Je n'arrive pas à savoir ce que c'est.
Si quelqu'un connaît, je suis preneur.

Chapitre I

C’est donc ce matin là que je m’en fus. J’avais mis dans un morceau de tissus blanc et rouge tous mes biens : un portrait en émail de ma mère, l’alliance de mon grand-père, une timbale d’argent gravée, un livre recouvert de cuir de Cordoue, une courte dague de veneur si effilée qu’elle perçait de la pointe son fourreau de métal bleu, quelques effets de toilette qui devraient encore résister à ma régulière infortune et cette petite croix de nacre et d’ébène que j’avais trouvée un jour dans l’herbe, prise dans le grésil d’un beau matin d’hiver, à la croisée d’un chemin.
Personne ne m’entendit sortir car mes chausses de feutrine glissèrent dans l’escalier sans qu’aucune marche ne grinçât. Les portes dont on eût cru qu'elles étaient graissées de la veille s’ouvrirent sans peine et sans bruit ; je m’approchai doucement des écuries où dormaient chevaux de trait et de labour ainsi que quelques destriers parmi lesquels je choisis un fort beau cheval bai que j’avais vu la veille monté par ce cuistre au verbe haut qui avait au dîner assourdi toute la compagnie et qui pour mon confort du moment dormait encore à poings fermés dans sa chambre au fond d’un lit clos. Aucun des autres chevaux ne hennit tandis qu’après que j’eus sellé en hâte celui de mon choix, nous sortîmes. Je n’eus pas même à emballer ses sabots ferrés de neuf du foin sec de sa couche car pas le moindre gravier ne crissa quand je le conduisis par la bride hors de l’écurie dans la cour où le soleil à peine levé jouait déjà avec les arbres et faisait scintiller la rosée sur leurs feuilles. Le château de la Belle eut semblé assourdissant de vacarmes à coté de la ferme encore ensommeillée.

Une fois passé le grand porche de brique moussue, une fois franchi le petit pont de pierres vertes qui enjambait le ru où j’avais tant joué et sur le bord duquel j’avais hier encore installé un moulin, j’enfourchai ma monture et bien que je n’eusse pas d’éperons, je lui flattai les flancs de telle manière qu’elle partit aussitôt au galop. Nous allâmes ainsi grand train sur près d’un quart de lieue puis, jugeant que j’étais assez loin d’un passé et d’un séjour que je souhaitais ne plus jamais connaître, je nous mis au trot et, peu après, au pas. Un homme tranquille n’éveille pas les soupçons ! Je continuai ainsi ma route, vers le sud tandis que le soleil qui gagnait peu à peu le zénith me fit rabattre devant mes yeux encore embués d’un reste de sommeil, le bord de mon chapeau. Je ne me sentais pas encore vraiment libre, comme si d’invisibles cordes me retenaient qui pourtant une à une s’effilochaient pour mieux se rompre les unes après les autres. Contrairement à toute logique qui aurait me pousser au contraire, un soupçon d’inquiétude me faisait éviter de me retourner, mais chaque pas de ma monture, chaque arbre rencontré, chaque chemin croisé, chaque homme salué d’une main portée à mon feutre, me donnait un gage nouveau de ma liberté toute fraîche et croissante, aussi incertaine qu’elle fut. Je ne me sentais même pas voleur, considérant que n’ayant qu’emprunté ma monture, je l’abandonnerais à la prochaine étape, nourrie et bouchonnée de telle manière que son maître ou ses valets qui ne l’eussent jamais aussi bien traitée, la récupérassent en l’état. Et c’est ce que je fis au premier tournebride que je rencontrai sur ma route et où je la vendis, certes, mais à un prix tel que personne n’eût pu me reprocher le crime d’en avoir fait grand bénéfice car le maquignon qui l’acheta me fit vite comprendre que la négociation ne pouvait se prolonger plus que de raison et de toute évidence à son profit. Je changeai à cette occasion mes bottes de feutrines pour d’autres de bon cuir épais mais souples et presque neuves. Je les acquis surtout pour ce que leurs talons me grandissant encore, je pus cacher définitivement à toute personne qui eût idée de s’enquérir de mon âge, la jeunesse qui, malgré les apparences - (suite page 3 ?...)

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