17 avril, 2008

Francis Falceto, ses découvertes et Tségué-Maryam Guébrou.

Francis Falceto possède un réel talent pour dégoter à travers le monde les curiosités musicales les plus improbables. Parmi celles de sa collection tout à fait étonnante réunie sous le Label “Ethiopiques” on m’a offert le disque tout récent consacré à Tségué-Maryam Guébrou.
Tségué-Maryam Guébrou est maintenant une vieille dame qui vit en religieuse à Jérusalem (elle a bien raison, c'est une ville sublime...). Sa vie a été particulièrement non conventionnelle. Née dans une famille de notables éthiopiens, elle a fait ses études en Suisse où elle découvre la musique occidentale et le piano. De retour dans sa patrie, elle rejoint l’entourage proche du Négus. Mais son rêve est de retourner en Europe pour devenir pianiste. La pression familiale (la musique n’a pas à l'époque bonne presse en Ethiopie) et l’autorité de l’Empereur mettront un terme et à ses velléités et à sa carrière artistique. Ne faisant pas dans la mesure, elle devient religieuse. Mais elle continue dans le cadre de sa vocation à pratiquer l’instrument et commence à composer.

Et c’est là que ça devient intéressant. La question de savoir si c’est de la bonne musique est dans le cas présent totalement subsidiaire (c’est à mon goût plutôt mauvais, car elle est, entre autre, assez rétive à toute modulation dans un "élément" musical qui la réclame.). Mais là où ça devient passionnant c’est quand il s’agit de comprendre l’univers musical d’une personne néanmoins résolument musicienne, douée, à défaut de talent créateur, d’un sens de l’ analyse et de la compréhension de la musique tout à fait extraordinaire car probablement autodidacte. Alors, où cette jeune fille de bonne famille avant devenir religieuse a-t-elle découvert toutes ces formules musicales qui la nourrissent, qu’on entendait soit dans les salons, sous les kiosques ou dans les bordels ? Tous les morceaux de ce CD s'inspirent, leurs titres en témoignent, de sujets religieux. Et pourtant, de la musique de bonne sœur, ça ? Vous rigolez !

La grande originalité de Sœur Guébrou réside dans le fait que sa main gauche est toujours fort bien élevée quand sa main droite est tout le temps “canaille”, moitié Chopin-moitié Joplin, et qu' ainsi, en bonnes chrétiennes, l'une ignore ce que l'autre fait... Le tout est parfois assez proche d’une forme de variété-smoking blanc-casino, de “musique de genre” (il y a une vraie “Habanera”), mais aussi capable d'un contrepoint assez élaboré dont on se demande comment elle les connaît. Ça rappelle aussi parfois, en hélas moins concis, Moondog le sublime, et quelques adeptes du répétitif des années soixante-dix, bref, ça rappelle un tas de trucs.... Et dans ce genre de pratique musicale dont je pense qu’elle devrait être encouragée, (tout le monde a le droit d’écrire de la musique comme tout le monde a le droit d’écrire dans sa langue maternelle) c‘est plus le mécanisme de la création qui compte et surtout ses ingrédients métissés que le résultat assez pauvrement syncrétique. La chose la plus curieuse et donc originale réside dans ce que cette musique utilise les recettes de la musique occidentale en la soumettant à un traitement personnel oriental, dans un rapport à la durée totalement opposé à nos habitudes, ce qui fait, qu'on a toujours l'impression, par cette inappétence à créer pour les résoudre les tensions autant qu'à moduler et dans un mépris affiché de la cadence, qu'elle ne sait pas "finir". Je voudrais savoir si Francis Falceto lui a posé la question des influences. En tout cas, je trouve ça extrêmement intéressant car l’univers musical de Tségué-Maryam Guébrou est un vrai, un réel foutoir culturel et c’est ce qui en fait le charme, la qualité.
Bravo pour le livret, car la vie de Tségué-Maryam Guébrou, est un roman...

On trouve ce Cd tout sauf banal (et donc, dans cette époque de formatage, indispensable !) chez
Buda Musique188 bd Voltaire à Paris 11°
et sur http://www.budamusique.com/
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