18 février, 2012

La folle complainte

C'est ma chanson.
Est-ce le printemps ou l'automne ? A l'âge de quatre ans, on ne sait pas très bien. Des saisons, on n'en n'a pas encore assez vues et quoi qu'il en soit, on ne sait pas ce que c'est... Il ne fait pas chaud, il ne fait pas froid, c'est pour ça que je n'en sais rien.
Je suis dans la grande cuisine avec mon grand-père Jean-Baptiste. Il ne me garde pas, mieux, il me regarde et sa bienveillance m'enrobe, me caresse. Par la grande fenêtre, je vois, de ma hauteur donc en contre-plongée sur leur échafaudage, les maçons qui de leurs tyroliennes crépissent la maison dans un bruit de crécelle. Nous y avons emménagé avant qu'elle soit terminée, à peine le bouquet planté sur le faîtage.
Jean-Baptiste est assis sur le banc au coin de la grande table de bois. Il tourne le dos à l'autre fenêtre, celle qui surplombe l'évier et la paillasse et que cache non seulement sur sa largeur mais sur toute celle du mur une sorte de hotte en bois et en verre dépoli. Il épluche des pommes de terre bouillies. Des pommes de terre de son jardin. Il porte un pantalon de velours côtelé sombre et une veste de ratine bleue, une casquette aussi, même à l'intérieur, dans la maison. Il prépare la salade car c'est lui le spécialiste des vinaigrettes, une pointe de moutarde, du vinaigre de vin, huile de noix de Neuville, échalotes, persil, de l'ail quand il faut... J'ai hérité de lui, par transmission directe, inné autant qu'acquis, ce talent remarquable. Jean-Baptiste me donne de sa grosse main tavelée une becquée de petits morceaux de pomme de terre qu'il coupe de son couteau de poche au manche de corne noire. Elles ont un goût de noisette et comme dirait ma mère, elles fondent dans la bouche. J'ai encore sur la moindre de mes papilles ce goût inoubliable, celui du bonheur qu'à l'époque encore je crois, comme tout d'ailleurs, n'ayant jamais rien vu et pour encore quelques temps finir, parfaitement éternel. Proust eut sa madeleine et moi j'ai la patate... on est peut-être "du même bord", on n'est pas "du même monde" !
A la radio, de la salle à manger voisine, du gros poste en bois verni avec son œil magique, on entend la "Folle complainte". Comme dans la chanson de Trenet, j'irai tout à l'heure en compagnie du chat, me planquer sous la grande table à rallonges de chêne, avec ses pieds galbés, comme une grosse araignée. . Mon grand-père n'a pas de barbe comme dans la chanson mais une grosse moustache ; mais comme dans la chanson, nous avons une bonne.
C'est mon plus ancien souvenir. C'est le moment, pas loin, où cette photo fut prise, chez le photographe de la rue Gambetta, "René Bézeaud, premier étage". Plaque que d'aucuns considérait en rigolant comme une atteinte aux bonnes mœurs...
"Les jours de repassage, dans la maison qui dort, ", je vous le dis encore : c'est ma chanson...

5 commentaires:

Calyste a dit…

L'odeur de ces pantalons de velours! Neufs ou usés, j'ai toujours aimé les sentir, les caresser. Même encore aujourd'hui, je craque! Tes "correspondances" me parlent.

Anonyme a dit…

mon grand père à moi préparait la laitue vert tendre et craquante de son jardin, de la façon suivante: il la lavait dans la buanderie, l'essorait avec un panier à salade rudimentaire. Après ces préliminaires il sortait du haut du buffet deux corps de ma grand -mère le saladier en faïence blanche, décorée de motifs verts puis il procédait à la vinaigrette. Après avoir coupé finement une ou deux échalotes,toute une liturgie! un rituel immuable,Il commençait par verser le vinaigre savamment dosé : une cuillère pour deux ou trois d'huile, puis il ajoutait le gros sel qui se dissolvait dans l'acide. IL versait ensuite les mesures d'huile. Parfois il remplaçait l'huile par la crème recueillie chaque matin après l'ébullition et le refroidissement du lait de notre petit déjeuner.Longtemps je l'ai imité et j'ai été championne de l'assaisonnement , aujourd'hui régime oblige,le sel manque et il ne me reste que le souvenir du goût incomparable de la salade de mon grand-père!

Anonyme a dit…

mon grand père à moi préparait la laitue vert tendre et craquante de son jardin, de la façon suivante: il la lavait dans la buanderie, l'essorait avec un panier à salade rudimentaire. Après ces préliminaires il sortait du haut du buffet deux corps de ma grand -mère le saladier en faïence blanche, décorée de motifs verts puis il procédait à la vinaigrette. Après avoir coupé finement une ou deux échalotes,toute une liturgie! un rituel immuable,Il commençait par verser le vinaigre savamment dosé : une cuillère pour deux ou trois d'huile, puis il ajoutait le gros sel qui se dissolvait dans l'acide. IL versait ensuite les mesures d'huile. Parfois il remplaçait l'huile par la crème recueillie chaque matin après l'ébullition et le refroidissement du lait de notre petit déjeuner.Longtemps je l'ai imité et j'ai été championne de l'assaisonnement , aujourd'hui régime oblige,le sel manque et il ne me reste que le souvenir du goût incomparable de la salade de mon grand-père!

P. P. Lemoqeur a dit…

les grands pères... c'est fou ce que ça se ressemble...

Anonyme a dit…

Pour parfaire l'art d'assaisonner la salade de nos grands-pères,j'ajouterai que le mien sortait du haut du buffet le saladier et les couverts en corne d'un de ses tiroirs où ils étaient rangés,instruments sacrés qui jamais n'étaient trempés dans la bassine d'eau de vaisselle qui se chauffait sur l'un des bas-côtés de la Rosière.Mon grand-père essuyait seulement les couverts après usage avant de les "serrer"à leur place habituelle: l'huile de la vinaigrette conservait ainsi leur intégrité. Mon grand-père jamais n'ajoutait de la moutarde à la sauce,elle aurait altéré le goût si subtil de l'huile de noix, une dépravation du goût aurait pensé ou dit sentencieusement mon père.... Il est l'heure de préparer le reps: une salade verte est prévue au menu, je la mangerai sans plaisir tant je suis pétrie de nostalgie en songeant à celle de mon grand-

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