On entend souvent sur France Musiques des musiciens et des musicologues rattacher aux tonalités et ce, le plus sérieusement du monde de la musique, des vertus illusoires. C'est
ainsi que l'un d'eux, gastronome et œnologue respecté, est particulièrement attiré par la tonalité de ré majeur, tonalité selon lui ensoleillée, réjouie et réjouissante, voire "féminine"...
Ça lui permet d'abord de faire savoir à l'auditoire qu'il a, lui, l'oreille absolue, et par "voix" de conséquence que ses allégations et ses jugements les plus basiques relèvent
d'une certaine pour ne pas dire inéluctable
infaillibilité. Un certain docteur Zwang, médicastre homophobe anti-baroqueux qui se livrait, dans les années 70 à l'exercice illégale de la musicologie, prétendait la même chose. C'est bien entendu une couillonnade, et des plus fumeuses car excepté pour la musique composée à partir, en gros, de la deuxième moitié du XIX° siècle, le ré, pour ne parler que de lui, que nous entendons aujourd'hui, n'est pas le même que celui que Mozart, Rossini, Beethoven par exemple entendait, ne parlons pas de Bach, Couperin, ou de Monteverdi... Pour la simple raison que le diapason, cet étalon de la hauteur des sons, celui qui "donne le la" contrairement au mètre en platine iridié précieusement conservé au Pavillon de Breteuil à Sèvres, n'a pas cessé de monter depuis deux siècles. Et lorsqu'on joue un ré aujourd'hui, s'il revenait sur terre, l'honnête homme du XVIII° siècle pour peu qu'il ait lui aussi l'oreille absolue l'écoutant, entendrait un si, voire un si bémol... Sans compter que le diapason pouvait comme les poids et mesures varier d'un endroit à un autre, beaucoup plus haut ou bien plus bas que celui de nos jours fixé semble-t-il définitivement à 442...
En revanche, il fut un temps où, effectivement, les tonalités avaient chacune son caractère. C'était l'époque où le tempérament égal n'était pas encore la règle générale et où les intervalles parfaitement justes n'étaient pas situés sur les mêmes degrés d'un ton à l'autre. Et de fait, à l'époque, pour cette excellente raison, on écrivait délibérément dans une tonalité plutôt que dans une autre, au risque ne pas pouvoir moduler inconsidérément et surtout de transposer sans se mettre en danger en allant baguenauder dans des tonalités redoutablement fausses. J'en sais quelque chose, ayant eu dans ma jeunesse et pendant quelques semaines mon piano d'étude accordé à 415 - ça encore c'est pas gênant- mais avec un mésotonique radical (un max de tierces justes...). Quinze jours à ne pouvoir jouer que conduits et danceries...
C'est pour ça, d'ailleurs, qu'on en vint enfin, le langage musical évoluant vers un goût irrépressible de la modulation et du chromatisme, à imposer un principe d'accord qu'on connaissait depuis toujours mais qui n'était pas dans les goûts de l'époque, qui est ce qu'on appelle l' accord tempéré, qui permet de jouer dans toutes les tonalités d'une manière identique, et pour lequel Bach écrivit ses deux cahiers du Clavier du même nom, et qui fait que quelque soit le ton choisi, la pièce sonne exactement pareil, ce qui, on l'aura compris, n'était pas le cas auparavant. On raconte que Germaine Tailleferre qui avait pourtant l'oreille absolue, jouant par cœur devant Fauré pour un concours du conservatoire l'un de ces préludes et fugues le joua sans s'en apercevoir dans un autre ton...
Alors l'admirable tonalité de ré ou de fa, sortie du contexte exclusif de la musique ancienne dans sa reconstitution historico-musicologique, les cuistres devraient la remiser définitivement au rayon des accessoires de leur pédanterie récurrente.
Maintenant, il faut que vous sachiez que votre beau piano, que vous venez de faire accorder est, à l'exception des octaves, uniformément faux... Je sais, ça fait un choc, mais c'est comme ça.