Le problème avec
Warhol, c'est que, contrairement à tant d'autres, il est beaucoup plus génial qu'il ne le prétend... C'est paradoxal ?
Alors faites comme ma soeurette et moi, allez voir
l'expo du Grand Palais et vous serez en permanence confronté au paradoxe.
Je vais vous raconter... D'abord il faut savoir que ne sont exposés que des
portraits. Du Christ à
Mick Jagger, coté célébrités y a pas plus éclectique...
J'avais, avant d'arriver, l'esprit parasité d'un tas de présupposés, du genre, c'est plus l'idée qui importe que l'oeuvre elle même, je pensais aux boites
Campbell... Ça va sentir
l'under-ground surané, la dope de date limite et le vieux glauque
new-yorkais...
Premier paradoxe, c'est d'une fraîcheur assez proche de celle de son ami
Hockney .
Je me disais aussi, ça va être un peu chiant, toujours pareil, procédures, procédés ! Des clous ! rien n'est pareil car tout est dans le détail... un peu comme ces musiques orientales répétitives, emmerdantes uniquement pour ceux qui sont insensibles aux
micro-variations permanentes. L'intérêt de ces portraits, c'est clair n'est pas dans leur ressemblance évidente mais dans leurs différences...
Je pensais en moi-même, les couleurs vont être fanées, un peu cracra. Tu parles ! c'est nickel, ça chante, ça vibre, c'est éclatant. Ce serait presque "
déco", si l'on veut reprocher... même lorsqu'il fait pipi sur une toile, ça marche... ça résiste !
Ma fibre
anti-people me faisait m'énerver d'avance. Quoi, ces gens qu'il a peints, j'en ai rien à foutre, ils ne m'intéressent pas... un peu comme
Proust m'agace avec ses histoires de duchesses, de
bonniches ou de vieux
pédés-naphtaline. C'était mal supposer... Après tout, "les
Ménines" sont-elles humainement intéressantes ?... Il ressort de tous ces portraits de stars de tous poils une humanité inattendue.. Mais il y a a aussi les amis, en particulier les portraits très sensuels en noir et blanc de
Basquiat, le seul qu'il peint "en pied", bizarre, non ?...
Voila, c'est aussi sincère, malgré la simplification extrême du procédé,
qu'Holbein ou
Velasquez et de toutes façons beaucoup plus que
Largillière,
Vigée-Lebrun,
Winterhalter ou Blanche pour ne parler que des portraitistes mondains des siècles précédents.
Ne pas oublier cette grande et très belle toile dans les tons rouge et marron représentant une chimère au visage déformé un peu façon Bacon, pas un travesti ou un transsexuel, non, un "homme femme", indicible, indéfinissable, paradoxal encore, à voir...
Il est drôle, en plus...Ça on le savait. Et s'il pisse sur ses toiles (référence à Théorème de
Paoslini ou
Pasolini inspiré par
Warhol ?), il peut aussi, en guise de plus value, saupoudrer de poussière de diamant les portraits de
David Whitney et de quelques autres, mais aussi et de la même manière, histoire de remettre tout à sa place, un grand tableau représentant des escarpins... Et comme il passait son temps à inventer des trucs, des techniques à dix balles, il a fait ces deux superbes portraits de
Mick Jagger sur un support incertain façon
récup, fait de cellophane ou de plastique transparent, d'une beauté magique.
On peut voir aussi, car il avait une aptitude à comprendre l'intérêt des nouvelles techniques qui n'avait d'égal que son talent à les maîtriser d'instinct, les
"screens tests", ces films de quatre
minutes-plan fixe 19 images/ seconde noir et blanc consacrés à ses amis connus ou inconnus. Ils sont présentés côte à côte sur un mur de petits écrans. Plus
austère-calviniste, comme dirait Polo, y a pas. C'est tout simplement fascinant.
Et puis il y a les deux tableaux extraordinaires que lui inspirent les deux personnages qui lui sont en tous points le plus opposés, le grand portrait de
Mao, et surtout celui sublime et très classique de
Lénine, hiératique, un peu menaçant, rouge (peut-il être autrement que rouge ?) sur fond noir (photo du haut).
Je vous fais grâce des photos et des portraits de
Debbie Harry... pouce ! personnel !
Enfin, on peut voir son premier tableau, un morveux façon
Otto Dix, l'index enfoncé dans le nez jusqu'au cerveau :
"C'est peut-être Dieu qui a fait mon visage, mais je me mets le doigt dans le nez si je veux..." c'est le titre... Voilà, pour vous dire,
Warhol, c'est tout ça aussi...
Warhol voulait que ce soit froid, impersonnel... tant pis pour lui, tant mieux pour moi, c'est raté.