23 mars, 2006

Allez voir les jungles du Douanier Rousseau

Le problème des génies c'est qu'ils font école et qu'alors, là, souvent, ça se gâte !
Schoenberg a engendré Boulez et ses handicapés épigones
Il parait que Céline aurait produit Houellebecq
Le Corbusier est involontairement mais directement responsable de la Courneuve.
Les impressionnistes ont préparé le terrain des toileux de Montmartre, post, néo- crypto- impressionnistes .

Mais le douanier Rousseau et Séraphine de Senlis ont ensemencé l'un des terreaux les plus bouseux de la peinture : celui des "Naïfs"...

Séraphine qui est beaucoup moins connue que son aîné Rousseau s'en tire le mieux, qui n'a engendré qu'un seul fils dont elle pourrait être fière : Aristide Caillaud.

La responsabilité de Rousseau, tout aussi involontaire que celle des pré-cités, est cependant réelle.
C'est ainsi qu'il y a eu des vagues successives de peintres labellisés naïfs (en particulier des balkans) dans les années soixante-dix. On en trouve encore place des Vosges dans de prétendues galeries d'art, ou adossés aux murs de certains monuments tandis que les artistes pour prouver que c'est bien de la peinture, les peignent devant vous...

Mais Rousseau et Séraphine Louis ne sont pas naïfs, pour la simple raison qu'ils s'en foutaient, de l'étiquette marchande, du code-barre esthétique... Rousseau se considérait comme un collègue de Picasso. Et Picasso l'estimait comme tel... sans démagogie ni condescendance. Des peintres donc, tout simplement.

Bref tout ça pour dire que le douanier Rousseau c'est du bonheur qui sort des tubes. Mais c'est un bonheur sensuellement inquiétant. L'exposition du Grand Palais me fait cet effet. Je fais l'impasse sur les portraits dont je ne peux pas dire qu'ils me titillent. En revanche, et c'est le thème de l'expo,( tant mieux ! ) tous les tableaux de jungle me comblent. Je les imaginais plus grands. Ils sont de la bonne taille pour qu'on s'y perde avec aisance. Et l'on s'y égare vite, très vite.
Et ce qui est étonnant dans le discours de Rousseau, car il y a un discours, c'est la manière dont il attire votre attention par un évènement dramatique ( prédateurs et proies ) pour, en fait, vous entraîner d'une manière parfaitement insidieuse, vers le fond du tableau, derrière les feuilles, dans la trouée très sombre où le regard se perd.
Les jungles de Rousseau sont invraisemblables, mais très réellement moites. Duras cinéaste réussira le même exploit dans India Song en recréant la mousson dans la vallée de Chevreuse. Et dans cette moiteur, que ressent-on si ce n'est un plus que léger ( pour ne pas dire plus que lourd...) trouble érotique. Dans chaque percée vers le fond du tableau , vers l'invisible, dans cette forêt touffue, il y a l'Origine du Monde...
La représentation que Rousseau donne des femmes n'est pas dans les portraits qu'il leur consacre ( marâtres moustachues, viragos plantureuses ou silhouettes lointaines), mais dans les jungles mystérieuses. Et lorsque les deux se trouvent réunies, que ce soit dans le Rêve (où il reprend curieusement la disposition du tableau du même titre de Puvis de Chavannes) ou dans La Charmeuse de serpents, la femme avérée est moins érotique que la jungle qui l'entoure...

Je pense que la "jungle" selon Rousseau est un sexe de femme, humide, doux et inquiétant, mystérieux et terriblement attirant.

Rousseau peintre érotique sans le savoir ? La disposition particulièrement phallique du groupe de artilleurs ( eh oui !) dans leur pré autour de leur canon n'échappera pas à votre sagacité...



9 commentaires:

Anonyme a dit…

cher pple moqueur, vos commentaires sur le Douanier Rousseau, me transportent par procuration ( mais je ne suis pas certaine que vous aimiez ce procéde paresseux...et économique)de ma lointaine province au Grand palais. Le critique d'art de mon quotidien favori ( un grand journal du soir) ne m'avez jamais comme vous, fait regretter de n'être pas parisienne.

P. P. Lemoqeur a dit…

Pas besoin d'être parisienne...

On trouve sur internet toutes les reproductions des oeuvres de Rousseau. L'écran permet curieusement une meilleure restitution des couleurs que ne le permet l'imprimerie.

Le fait de les voir réellement n'est qu'un luxe... Et par les temps qui courrent, le luxe, ma bonne dame, c'est du luxe...

Ah, cela dit,n'allez pas imaginer que je vois du cul partout... Mais quand il y en a...

Anonyme a dit…

Ce que vous évoquez, cher PP, de "l'inquiétant" chez le Douanier Rousseau ne lui aurait certainement pas déplu car lui-même pris de panique à la vue de l'un de ses tableaux de la Jungle
exprimait son angoisse, je cite: "Un jour que je peignais un sujet fantastique, j'ai dû ouvrir la fenêtre, car la peur me prenait". Bises

Anonyme a dit…

Ce que vous évoquez, cher PP, de "l'inquiétant" chez le Douanier Rousseau ne lui aurait certainement pas déplu car lui-même pris de panique à la vue de l'un de ses tableaux de la Jungle
exprimait son angoisse, je cite: "Un jour que je peignais un sujet fantastique, j'ai dû ouvrir la fenêtre, car la peur me prenait". Bises

Anonyme a dit…

Je m'aperçois que le commentaire que je viens de vous adresser a été enregistré deux fois. Je ne comprends pas pourquoi.

P. P. Lemoqeur a dit…

La question est, si tant est que ce soit intéressant ( je pense que ça l'est...)est de savoir ce qui l'inquiétait. Ce qui est "inquiétant" pour moi, avec la distance et la possibilité de prosposer des hypothèses à la lueur des découvertes de la psychanalyse n'est peut être pas ce qui fut inquiétant pour lui... même si j'imagine que c'était la même chose... Mon inquiétude est distanciée, la sienne ne l'est pas, et heureusement, car si elle l'était il n'eût pas été ce qu'il fut...

P. P. Lemoqeur a dit…

Pour être plus précis je pense que ce qui poussa Rousseau à ouvrir la fenêtre est sans doute moins l'image du "tigre dévorant le nègre" que la “trouée très sombre où le regard se perd” dont je parlais.

Anonyme a dit…

En citant le Douanier pour ce qui est de sa peur en peignant il est, il est vrai, difficile d'en connaître la nature car il faudrait qu'il nous en ait dit davantage. Peur ou angoise, chi lo sa? On ne peut effectivement que se reporter à nos propres sentiments devant une peinture pas si naïve que ça.

P. P. Lemoqeur a dit…

On est bien d'accord...

On peut même pousser un peu plus loin et considérer que l'anecdote de la fenêtre ouverte et le besoin de Rousseau de parler de cette peur est aussi important que cette peur elle-même...

Pour ce qui est de la naïveté, on pourrait en parler des pages... Il s'agit en fait plus d'une maladresse par manque de maîtrise des techniques traditionnelles ( il pallie ce manque en inventant autre chose) que d'une sorte de fraîcheur enfantine dont on pense qu'elle serait charmante et sans danger... Picasso qui possède la technique innée passera sont temps à la contraindre pour ne pas devenir un peintre académique, pour "devenir Rousseau", en quelque sorte.

De toute façon, Rousseau n'est pas naïf, c'est peut-être cet enfant dont on sait qu'il est un pervers polymporphe...

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