Le problème des génies c'est qu'ils font école et qu'alors, là, souvent, ça se gâte !
Schoenberg a engendré Boulez et ses handicapés épigones
Il parait que Céline aurait produit Houellebecq
Le Corbusier est involontairement mais directement responsable de la Courneuve.
Les impressionnistes ont préparé le terrain des toileux de Montmartre, post, néo- crypto- impressionnistes .
Mais le douanier Rousseau et Séraphine de Senlis ont ensemencé l'un des terreaux les plus bouseux de la peinture : celui des "Naïfs"...
Séraphine qui est beaucoup moins connue que son aîné Rousseau s'en tire le mieux, qui n'a engendré qu'un seul fils dont elle pourrait être fière : Aristide Caillaud.
La responsabilité de Rousseau, tout aussi involontaire que celle des pré-cités, est cependant réelle.
C'est ainsi qu'il y a eu des vagues successives de peintres labellisés naïfs (en particulier des balkans) dans les années soixante-dix. On en trouve encore place des Vosges dans de prétendues galeries d'art, ou adossés aux murs de certains monuments tandis que les artistes pour prouver que c'est bien de la peinture, les peignent devant vous...
Mais Rousseau et Séraphine Louis ne sont pas naïfs, pour la simple raison qu'ils s'en foutaient, de l'étiquette marchande, du code-barre esthétique... Rousseau se considérait comme un collègue de Picasso. Et Picasso l'estimait comme tel... sans démagogie ni condescendance. Des peintres donc, tout simplement.
Bref tout ça pour dire que le douanier Rousseau c'est du bonheur qui sort des tubes. Mais c'est un bonheur sensuellement inquiétant. L'exposition du Grand Palais me fait cet effet. Je fais l'impasse sur les portraits dont je ne peux pas dire qu'ils me titillent. En revanche, et c'est le thème de l'expo,( tant mieux ! ) tous les tableaux de jungle me comblent. Je les imaginais plus grands. Ils sont de la bonne taille pour qu'on s'y perde avec aisance. Et l'on s'y égare vite, très vite.
Et ce qui est étonnant dans le discours de Rousseau, car il y a un discours, c'est la manière dont il attire votre attention par un évènement dramatique ( prédateurs et proies ) pour, en fait, vous entraîner d'une manière parfaitement insidieuse, vers le fond du tableau, derrière les feuilles, dans la trouée très sombre où le regard se perd.
Les jungles de Rousseau sont invraisemblables, mais très réellement moites. Duras cinéaste réussira le même exploit dans India Song en recréant la mousson dans la vallée de Chevreuse. Et dans cette moiteur, que ressent-on si ce n'est un plus que léger ( pour ne pas dire plus que lourd...) trouble érotique. Dans chaque percée vers le fond du tableau , vers l'invisible, dans cette forêt touffue, il y a l'Origine du Monde...
La représentation que Rousseau donne des femmes n'est pas dans les portraits qu'il leur consacre ( marâtres moustachues, viragos plantureuses ou silhouettes lointaines), mais dans les jungles mystérieuses. Et lorsque les deux se trouvent réunies, que ce soit dans le Rêve (où il reprend curieusement la disposition du tableau du même titre de Puvis de Chavannes) ou dans La Charmeuse de serpents, la femme avérée est moins érotique que la jungle qui l'entoure...
Je pense que la "jungle" selon Rousseau est un sexe de femme, humide, doux et inquiétant, mystérieux et terriblement attirant.
Rousseau peintre érotique sans le savoir ? La disposition particulièrement phallique du groupe de artilleurs ( eh oui !) dans leur pré autour de leur canon n'échappera pas à votre sagacité...