16 décembre, 2013

Un dimanche après midi dans le Lagny-Paris

Quand je suis arrivé sur le quai, ils finissaient leur repas, partageant un bout de pizza, des carottes râpées et des tomates qu'ils rinçaient à l'eau minérale. Lui, avait une bonne cinquantaine d'années, robuste et moustachu, directement sorti du "Sceptre d'Ottokar", une vieille chapka d'astrakan un peu mitée sur la tête. Elle plus petite, plus ronde ressemblait avec ses pommettes saillantes, ses rides de joyeuseté fixées au bord des yeux et ses foulards cumulés sur la tête à une poupée russe comme si en la dévissant on eût trouvé la même à l'intérieur. Quand au gamin , contrairement à eux, qui devaient être ses parents, il devait avoir dix huit ans, maigre et carencé, un peu barbu, avec un regard hérité de ses probables, ancestrales et indiennes origines, des yeux noirs profonds d'une beauté fulgurante et profondément tristes. Le père lui a offert une gorgée de vin blanc, d'une bouteille à capsule, une gorgée pas plus, juste pour le réchauffer.

Quand le train est arrivé ils ont chargé des sacs pleins de bouffe, que de la bouffe et se sont installés face à moi sur les strapontins dans l'entrée, le père et la mère d'un côté, le fils, de l'autre. Qu'allaient-ils faire à Paris qu'ils n'avaient plus à faire à Lagny ? La question eût été aussi vraie si je les avais croisés dans l'autre sens. Je me demande toujours où vont les oiseaux qui dans le ciel volent, droits, en sachant visiblement où ils vont.
Il émanait de ce trio une étrange douceur, une misère terriblement aimante. Je les regardais, sans pouvoir m'arrêter et ils ont semblé surpris de croiser un regard amical, ou qui, au moins ne leur faisait pas la gueule. D'où étaient-ils, eux qui ne mendiaient pas ? Ils me rappelaient aussi ces paysans croisés dans les villages d' Azerbaidjan ou dans certains coins de l'est de l'Iran.

Entre Chelles et Paris, le père a sorti de la poche intérieure de sa vieille veste fourrée, la bouteille de vin blanc . Il en a bu une simple rasade. Sa femme m'a regardé et m'a dit en riant : "médicamenté " : roms. peut être, roumains, probablement. J'ai ri, nous avons ri. A la suite de quoi, elle a passé son bras sous le sien, glissé sa main gonflée de travailleuse dans sa grosse pogne, comme elle l'eût glissée dans un gant et s'est appuyée tendrement sur son épaule avant de s'endormir avec lui sous les yeux du fiston, habitué sans doute, et qui les réveilla, arrivés Gare de l'Est. J'ai été tenté un moment de leur donner des sous, à eux qui ne demandaient rien. C'eût été ridicule, une atteinte odieuse à leur belle dignité

1 commentaire:

CHROUM-BADABAN a dit…

C'est un beau conte de noël... et vécu, en vrai, chez "nous".
"Chez nous" où ils peuvent espérer trouver leur salut.
Ils y a des gens très courageux.
Et des regardeurs bienveillants...
C'est la vie quand elle est belle, sensible et intelligente !
Un beau conte de noël que tu n'as pas transformé en "compte" de noël.
La dignité, en peaux de bébé phoques, ça vaut combien ?!
Pour ça, je t'aime P.P. !

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