Au début du siècle dernier, dans les instituts d'aveugles ( il y avait généralement aussi les sourds et les muets, ça devait faire un raffut ...) on préparait les handicapés (le terme est venu bien après) à avoir un métier. C'étaient des curés et des bonnes soeurs qui s'y collaient et faut reconnaître, pas si mal.
Un aveugle né vers 1905, il n'avait pas vraiment le choix. Une fois admis que c'était surtout chez les pauvres qu'ils étaient recrutés, s'il n'avait pas une bonne oreille, il finissait rempailleur de chaises. Si en revanche il en avait une, il avait deux possibilités. Soit il devenait accordeur de piano, soit s'il était un peu doué, il devenait organiste et professeur de musique. J'ai le plus profond respect pour les aveugles qui ont du se mettre dans le cerveau un tas de trucs dont nous sommes épargnés. Tiens par exemple, écrire à l'envers pour se lire à l'endroit...
Ce que je vous raconte là, c'est pas du Balzac, du Zola ou du Montépin, du roman, je l'ai connu.
Dans ma ville natale quand j'étais môme, il y en avait deux qui se partageaient l'enseignement de la musique dans les collèges privés de garçons (tiens au fait, les filles ?) et avaient aussi comme on dit "une tribune", c'est à dire qu'ils étaient organistes d'église, messes du dimanche, mariages, communions, enterrements, j'allais dire "bar mitzvoth", y a des jours où je suis con...
Les deux étaient parfaitement antipathiques et également aigris mais chacun dans son style, à sa manière.
Monsieur C, breton, était petit et sec. Il avait épousé une très belle femme, et riche de surcroît. Sans être virtuose, il était très bon musicien et improvisait joliment avec des harmonies souvent suaves mais parfois étonnantes. Il n'avait, signe de promotion sociale, qu'une fille(quand on a du bien on évite l'indivision), charmante, le portrait craché de sa mère.
L'autre, Monsieur M. était un grand gaillard, une "nature", qui avait épousé une pauvresse à laquelle il avait fait une dizaine de mômes. Il était autonome et contrairement à l'autre se promenait tout seul en ville. C'était pas un faignant, car s'il les terrorisait un peu il les nourrissait. C'était pas le musicien du siècle non plus, mais coté solfège, théorie, imbattable ! Contrairement à son discret collègue, Monsieur M. était tonitruant et passait son temps à foutre la trouille à ses élèves, en fait, à tout le monde.
Il avait un numéro bien réglé en début d'année scolaire pour, pensait-il, asseoir son autorité. La salle un peu misérable qui lui était affectée pour ses cours était juste meublée en dehors d'un gigantesque Pleyel en palissandre, demi-queue subclaquant et d'un harmonium asthmatique, de quelques bancs qu'il avait, lui-même, soigneusement alignés au centimètre près. Il ne portait pas de lunettes noires et roulait ses yeux morts d'une manière effrayante. Et dès la première minute du premier cours de musique, devant les élèves médusés, en criant, "Je suis un aveugle qui voit !", il bondissait, aller-retour, en enjambant les bancs... Même âgé de treize ans, ça vous faisait un effet-boeuf, une sorte de choc, c'était fait pour ça.
Ça a duré des années, cette couillonnade grand-guignolesque. Jusqu'à ce qu'enfin, une main salutaire et anonyme, décalât un jour de rentrée l'un des bancs, au milieu, de quelques centimètres. Il se vautra devant ses élèves qui déjà terrorisés n'eurent même pas le loisir de rire. Il y eut une colle générale, la première de l'année.
Sainte-Colline ? mais j'ai connu ! Clochemerle aussi.
Un aveugle né vers 1905, il n'avait pas vraiment le choix. Une fois admis que c'était surtout chez les pauvres qu'ils étaient recrutés, s'il n'avait pas une bonne oreille, il finissait rempailleur de chaises. Si en revanche il en avait une, il avait deux possibilités. Soit il devenait accordeur de piano, soit s'il était un peu doué, il devenait organiste et professeur de musique. J'ai le plus profond respect pour les aveugles qui ont du se mettre dans le cerveau un tas de trucs dont nous sommes épargnés. Tiens par exemple, écrire à l'envers pour se lire à l'endroit...
Ce que je vous raconte là, c'est pas du Balzac, du Zola ou du Montépin, du roman, je l'ai connu.
Dans ma ville natale quand j'étais môme, il y en avait deux qui se partageaient l'enseignement de la musique dans les collèges privés de garçons (tiens au fait, les filles ?) et avaient aussi comme on dit "une tribune", c'est à dire qu'ils étaient organistes d'église, messes du dimanche, mariages, communions, enterrements, j'allais dire "bar mitzvoth", y a des jours où je suis con...
Les deux étaient parfaitement antipathiques et également aigris mais chacun dans son style, à sa manière.
Monsieur C, breton, était petit et sec. Il avait épousé une très belle femme, et riche de surcroît. Sans être virtuose, il était très bon musicien et improvisait joliment avec des harmonies souvent suaves mais parfois étonnantes. Il n'avait, signe de promotion sociale, qu'une fille(quand on a du bien on évite l'indivision), charmante, le portrait craché de sa mère.
L'autre, Monsieur M. était un grand gaillard, une "nature", qui avait épousé une pauvresse à laquelle il avait fait une dizaine de mômes. Il était autonome et contrairement à l'autre se promenait tout seul en ville. C'était pas un faignant, car s'il les terrorisait un peu il les nourrissait. C'était pas le musicien du siècle non plus, mais coté solfège, théorie, imbattable ! Contrairement à son discret collègue, Monsieur M. était tonitruant et passait son temps à foutre la trouille à ses élèves, en fait, à tout le monde.
Il avait un numéro bien réglé en début d'année scolaire pour, pensait-il, asseoir son autorité. La salle un peu misérable qui lui était affectée pour ses cours était juste meublée en dehors d'un gigantesque Pleyel en palissandre, demi-queue subclaquant et d'un harmonium asthmatique, de quelques bancs qu'il avait, lui-même, soigneusement alignés au centimètre près. Il ne portait pas de lunettes noires et roulait ses yeux morts d'une manière effrayante. Et dès la première minute du premier cours de musique, devant les élèves médusés, en criant, "Je suis un aveugle qui voit !", il bondissait, aller-retour, en enjambant les bancs... Même âgé de treize ans, ça vous faisait un effet-boeuf, une sorte de choc, c'était fait pour ça.
Ça a duré des années, cette couillonnade grand-guignolesque. Jusqu'à ce qu'enfin, une main salutaire et anonyme, décalât un jour de rentrée l'un des bancs, au milieu, de quelques centimètres. Il se vautra devant ses élèves qui déjà terrorisés n'eurent même pas le loisir de rire. Il y eut une colle générale, la première de l'année.
Sainte-Colline ? mais j'ai connu ! Clochemerle aussi.
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