Un ami et collègue compositeur mais aussi, lui, instrumentiste m’a fait part d’une discussion qu’il a eue sur un forum musical il y a quelques jours à propos du rapport entre les artistes et la politique. Il semblerait que nombre de nos amis musiciens, manifestent un intérêt des plus modérés pour la "Chose Publique" au point même de considérer qu’il n’est pas nécessaire, et peut-être même au contraire, incongru de s'en mêler.
( Je me méfie un peu, car, je ne sais pas si c’est pareil pour vous, mais tout les gens que j’ai rencontrés ou que je rencontre et qui me disent : "moi, je ne fais pas de politique" sont toujours de droite...)
Je pense au contraire que s’il est de gens qui doivent " s’en mêler", ce sont bien "les artistes"... Reste à savoir, maintenant comment "s’en mêler ". Si l’on est graphiste c’est, sommes toutes, assez simple, si l’on est écrivain aussi. Pour le musicien et surtout pour le compositeur ça se complique un peu.
A) Soit il écrit une oeuvre sur un texte politique d’une manière ou d’une autre , dans ce cas il bénéficie en s’y associant des bienfaits du " signifiant". Mais on doit convenir que, si l’on enlève le texte, l’œuvre peut dans certains cas perdre une grande partie de son intérêt du point de vue esthétique ( mais la questione de l'esthétique est -elle ici pertinente ?) .
C’est le cas de la "chanson engagée" , du "protest song" anglo-saxon, dont la musique est volontairement simple, facile à mémoriser et à chanter et qui perd définitivement tout intérêt (dans la plupart des cas) à être dissociée du texte. Les chansons les plus engagées de Léo Ferré sont souvent les moins bonnes musicalement, François Béranger se soucie comme d'une guigne de la qualité musicale des siennes, Jean Ferrat se trouve le plus souvent dans une position intermédiaire en soignant particulièrement les arrangements.
Mais il peut y avoir aussi une parfaite adéquation entre les deux; C’est le cas de certaines mélodies de Poulenc, celles sur des poèmes résistants d’Eluard, ou tout simplement anars de Maurice Fombeure.
Il y a enfin ce cas particulier qu’est la cantate socialiste soviétique, en particulier celles de Prokofiev. Destinée à susciter un grand élan d’adhésion à la doctrine en vigueur elle est, utilisant les recettes de la musique d’église et du théâtre lyrique, d’une redoutable efficacité. On peut ne pas comprendre les paroles ( comme pour un Gloria ), on reste saisi ... Seulement, il s’agit de Prokofiev...
C’est aussi, a contrario, le cas de l’ignoble et morbide Orff, adhérent de la première heure au National Socialisme et compositeur du transit intestinal efficace...
B) Soit il écrit une œuvre uniquement instrumentale et là, trois cas de figure se présentent :
1) la pièce est descriptive, " à programme" comme on dit et elle imite plus ou moins bien la vie "telle qu’elle est..."
2 ) la pièce n’est pas descriptive, et fait appel à tout un arsenal de systèmes le plus souvent personnels mis en oeuvre par le compositeur pour arriver à ses fins, s’il en a, et qui fait appel à une forte réflexion de la part de l’auditeur ainsi que , très souvent, d’un autre arsenal, celui-là explicatif, de la part du compositeur.
3) la pièce est simplement, sans présupposé, expressionniste et fait appel au réveil de ressources fort bien cachées au plus profond de l’auditeur. Rien à analyser, rien à expliquer, ça marche ou ça ne marche pas ( Je pense en particulier à Luigi Nono, ou même à Penderecki )
Trois possibilités donc, qui n’ont rien à voir avec cet élément primordial qui est l’inspiration. Celle-ci peut exister dans l’un ou l’autre cas, comme elle peut faire défaut dans les trois ...
C) Soit, il dissocie ou prétend dissocier totalement son travail de compositeur de toute préoccupation de cet ordre. Ce choix peut être permanent ou occasionnel.
Mais il peut, même s’il n’est pas un artiste engagé, être néanmoins un homme engagé. C’est le cas de Dutilleux dont la musique ne fait pas spécialement état de son réel engagement à gauche ; c'est aussi à sa manière le cas de Maurizio Pollini dans des choix identiques. Ce fut aussi celui de Wiéner, Durey et de Tailleferre. On peut considérer que les relations privilégiées de l'incroyable Boulez avec les Pompidou relevait uniquement de l'expression d'une amitié sincère... Et l'amitié, je suis d'accord, ça se respecte !...
Des "engagements" avérés à droite donc, à part Jean-Michel Jarre et Sardou... les autres sont plutot dans le placard. On ne va pas les leur disputer.
On peut donc, et j’en arrive à un plaidoyer "pro domo", être un musicien dont l’oeuvre n’ a pas forcément de projet militant et s’engager à côté, sans vergogne et sans complexe. J’avais à l’origine ouvert un deuxième blog qui s’appelle la Quinte du Loup et que je ne tiens plus depuis trop longtemps. C’est l’occasion aujourd’hui de les réunir en un seul. Finie, la Quinte du Loup, je parlerai désormais aussi de musique sur PP le Moqueur.
4 commentaires:
vous dites Les chansons les plus engagées de Léo Ferré sont souvent les moins bonnes musicalement
pouvez-vous me donner des exemples
merci
soyez rassuré,
au cas où vous ne l'auriez ps compris, je suis (probablement comme vous) un admirateur indéfectible de Ferré qui est un peu au purgatoire , de nos jours. Faire un inventaire des oeuvres en questions entrainerait à coup sûr de votre part et de la mienne un pesage digne du jugement dernier : celle-ci est-elle meilleure que celle-là ? celle là est-elle plus engagée que celle-ci. Et viendrait
immanquablement par la suite, la question de goût personnel. Ferré ne mérite pas cela. Je l'ai cité surtout au titre d'auteur enblématique. J'aurais eu du mal vous en conviendrez à citer, Brassens, même s'il lui arrivait d'avoir, comme Brel des "humeurs" politiques à l'état de trace... Vous aurriez pu tout autant me poser la question à propos de Béranger, ou de Ferrat... de quoi ne pas en sortir...
A moins qu'en bon Ferréphile, vous ne souhaitiez tester mes connaissances à son propos. Soyez rassuré là aussi, j'imagine sans honte, que les votres sont plus poussées que les miennes.
Cordialement
vous me faites un procès d'intention(s)...
je voulais juste mieux comprendre vos propos
Désolé si vous l'avez perçu comme ça , mon intention n'était pas de vous faire de procès, j'ai horreur des procès et d'intentions et des autres...
Mais j'aimerais votre avis sur ce sentiment que j'ai vis à vis de la qualité des musiques des oeuvres engagées ( chansons en particulier). Je me permettais en choisissant Ferré de faire la part des choses chez un compositeur de chanson qui est réellement et le plus souvent excellement musicien. Je pense que cela vient de ce que dans ce cas de figure, c'est et à dessein, "prima le parole".
Peut-être est-ce du aussi au fait que ces textes sont plus difficiles à mettre en musique.
Qu'en pensez-vous ?
A bientôt
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