Ça a été signé à Evian, une ville de cure, une ville d'eau, l'eau c'est propre, ça lave, fût-ce tout ce sang versé... Je m'en souviens comme si c'était hier, puisque j'avais quand même treize ans et que mon frère était du dernier contingent expédié, bref, il avait eu du pot, d'être parti tard et d'en être revenu vite, entier, aussi long que cela parut, c'est pas pour ça qu'il a pas de traces... .
Tous les soirs et depuis des années il y avait à la radio "l'émission-des-angoisses". Celle des messages des appelés à destination de leurs proches, ceux de la métropole. Ce n'étaient pas des messages lus par des speakers appointés, non, c'étaient eux, les appelés transis qu'on entendait dans le court temps qui leur était offert, "embrasser tendrement d'une voix tremblante et quasi impudique, de leurs accents choisis parmi la France entière, leur petite femme chérie, leur enfant, en les rassurant qu'ici tout allait bien. sans oublier de saluer les copains du Balto ou pour les célibataires, leur fiancée en jachère pour mieux se vider les couilles au BMC du coin avant de passer à la gégène celles d'un bon fellagha de passage. De temps en temps, un gradé s'y collait, histoire de bien montrer la solidarité, l'esprit de corps. La banalité trempée, avant d'être essorée dans le drame quotidien. Une saloperie hertzienne quotidiennement mouillée, sous son prétendu projet de gaine humanitaire, d'hypocrisie basique et de manipulation scélérate, des milliers de familles fixées chaque soir à la même heure au poste attendant anxieuses la voix hypothétique et grésillante de l'aimé, pour être finalement anesthésiée par celle d'un autre, d'un "vivant" tiré au sort. Attention ! pas de noms, que des prénoms ! de son petit Jean-Claude à sa petite Gisèle qu'il rassure, que tout baigne, avant, qui sait, de mourir l'heure qui suit... Abjection !
On ne comptait pas les jours pendant la guerre d'Algérie, pas les ans, pas plus que les semaines, on faisait dans l'entre-deux, on comptait les mois. Untel avait fait 12 mois. Le fils Machin, 27, réincorporé Dieu sait pourquoi sournoisement le jour de sa libération, libération toujours incertaine, tant qu'on avait pas remis le pied sur le quai à Marseille. Je me souviens même du fils d'un artisan voisin, qui recordman du genre, avait fait 33 mois, la reconduction de certaines classes relevant du mystère absolu.
Le plus curieux dans l'histoire c'est que ceux qui en revenait, offraient une drôle d'image. Celle de mecs costauds, aguerris, sportifs, bronzés, en pleine force physique, mais chargés de toute l'horreur d'un vécu trop récent, sortes de créatures de Frankenstein d'une douceur extrême et éreintés de tristesse indicible, le regard un peu fixe comme devant un écran qui repasse le même film, un film dont on ne saura jamais rien, si ce n'est parfois et dans des cas extrêmes un "arrêt sur image" échappé par hasard ou qui sait, par besoin.
J'invente pas ! je les ai entendus et j'ai de la mémoire, énorme ! je les ai vus, j'en vois encore !
Tous les soirs et depuis des années il y avait à la radio "l'émission-des-angoisses". Celle des messages des appelés à destination de leurs proches, ceux de la métropole. Ce n'étaient pas des messages lus par des speakers appointés, non, c'étaient eux, les appelés transis qu'on entendait dans le court temps qui leur était offert, "embrasser tendrement d'une voix tremblante et quasi impudique, de leurs accents choisis parmi la France entière, leur petite femme chérie, leur enfant, en les rassurant qu'ici tout allait bien. sans oublier de saluer les copains du Balto ou pour les célibataires, leur fiancée en jachère pour mieux se vider les couilles au BMC du coin avant de passer à la gégène celles d'un bon fellagha de passage. De temps en temps, un gradé s'y collait, histoire de bien montrer la solidarité, l'esprit de corps. La banalité trempée, avant d'être essorée dans le drame quotidien. Une saloperie hertzienne quotidiennement mouillée, sous son prétendu projet de gaine humanitaire, d'hypocrisie basique et de manipulation scélérate, des milliers de familles fixées chaque soir à la même heure au poste attendant anxieuses la voix hypothétique et grésillante de l'aimé, pour être finalement anesthésiée par celle d'un autre, d'un "vivant" tiré au sort. Attention ! pas de noms, que des prénoms ! de son petit Jean-Claude à sa petite Gisèle qu'il rassure, que tout baigne, avant, qui sait, de mourir l'heure qui suit... Abjection !
On ne comptait pas les jours pendant la guerre d'Algérie, pas les ans, pas plus que les semaines, on faisait dans l'entre-deux, on comptait les mois. Untel avait fait 12 mois. Le fils Machin, 27, réincorporé Dieu sait pourquoi sournoisement le jour de sa libération, libération toujours incertaine, tant qu'on avait pas remis le pied sur le quai à Marseille. Je me souviens même du fils d'un artisan voisin, qui recordman du genre, avait fait 33 mois, la reconduction de certaines classes relevant du mystère absolu.
Le plus curieux dans l'histoire c'est que ceux qui en revenait, offraient une drôle d'image. Celle de mecs costauds, aguerris, sportifs, bronzés, en pleine force physique, mais chargés de toute l'horreur d'un vécu trop récent, sortes de créatures de Frankenstein d'une douceur extrême et éreintés de tristesse indicible, le regard un peu fixe comme devant un écran qui repasse le même film, un film dont on ne saura jamais rien, si ce n'est parfois et dans des cas extrêmes un "arrêt sur image" échappé par hasard ou qui sait, par besoin.
J'invente pas ! je les ai entendus et j'ai de la mémoire, énorme ! je les ai vus, j'en vois encore !
Cher pp,
RépondreSupprimerCa, c'est du grand pple moqueur. Emouvant et distancé.
Angevine