Les J. grands parents de deux de nos amies d’enfance avaient comme on dit “du bien”, des fermes en pagaille dont une très belle en périphérie de Poitiers au lieu-dit Saint Éloi où ils vivaient en permanence. Longère de pierre de Chauvigny du XVII ° siècle entourée de communs tout aussi remarquables.
Le Père J. et la Mère J. s'il n'avaient plus depuis longtemps de passion réciproque en avait gardé une commune, celle de l'argent, l'une pour l'accumuler, l'autre pour le faire valser.
La Mère J. était une petite bonne femme que je ne vis, comme nombre de ses contemporaines, jamais vêtue autrement qu’en noir. Travailleuse, économe et meneuse d’hommes, il y avait sur la ferme une dizaine d’ouvriers agricoles, bref, c’était elle la patronne.
Le Père J, c’était plus compliqué... Un homme superbe, de belle taille portant moustache, vêtu de velours vert et se déplaçant dans une remarquable Traction 15, la plus puissante, la plus chère....Bref, contrairement à sa femme, un réjouissant flambeur ! Il avait le monopole du ramassage des ordures à Poitiers, et à l’époque, ramasser les ordures fut-ce en ville, c’était récolter la bouffe des cochons... Pas de tri sélectif, le reste finissait en fumier pour amender ses terres...
Gros mangeur, gros buveur le Père J. était une nature. Il avait donc aussi une maîtresse, une seule, il était en fait tout simplement bigame, ce qui arrangeait bien sa femme qui était peu "portée sur la chose".
Il vécut sa vie de queutard jusqu'à un âge assez avancé pour l’époque, mais la machine pour avoir trop servi finit un jour par se déglinguer et il commença à décliner. C’est alors que sa femme se rendit chez la maîtresse dont elle savait l'existence depuis des lustres et lui dit : “Tu en as bien profité pendant les années qu'il était en bonne santé, alors tu vas venir le soigner avec moi ! “ . Ce qu’elle fit. C’est ainsi que le Père J. rendit l’âme entre sa femme et sa maîtresse.
Il avait manifesté le désir d’être enterré civilement. La Mère J. en décida autrement ; “ Il a fait toute sa vie ce qu’il a voulu, mais là, il y passera comme les autres” .
Mais l’affaire était plus compliquée que ça. Car en 1905, au moment de la séparation de l’ Église et de l’ État, le Père J. ayant commis l’odieuse simonie en rachetant des biens de l’église se trouvait donc de fait excommunié... La Mère J. était prête à tout pour emmerder son vieux, même post-mortem... Elle pris l’attache du chancelier de l’évêché, à qui elle fit un joli don en espèce, ce qui eut pour effet de réveiller la mémoire de l’honorable ecclésiastique qui se souvint d’un seul coup que pendant la dernière guerre le Père J. généreux, avait fait don d’un cochon au séminaire de Poitiers. L’excommunication fut aussitôt levée, et le Père J. enterré en grande pompe et ce bien malgré lui dans une église Sainte Radegonde pleine à craquer.
Ces gens-là savaient vivre, et même diablement vivre !
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