Elles avaient inventé un jeu : les "découpations". Il fallait à chacun juste une paire de ciseaux et des catalogues de la Redoute ou des 3 Suisses L'origine de ce jeu était ces plaques qu'on achetait qui permettaient d'habiller en les détourant avec soin des petits personnages en bristol. Mais ce qui était devenu in fine le centre d'intérêt, ce n'était plus d'habiller mais tout simplement comme s'il s'agissait d'un rituel, d'un cérémonial, de dé-cou-per. Un catalogue en couleur suffisait pour la matière et pour quelques semaines. Et nous passions des après-midi entiers, dans la lingerie, juchés sur la grande table à repasser, assis en tailleur, à découper des personnages et parfois des objets qui finissaient inexorablement comme le reste de l'ouvrage, à la poubelle. Ça vous parait fou cette histoire ? Et bien, curieusement ça ne l'était pas, car en découpant, tout et n'importe quoi, Catherine, Fanchon et moi, nous causions ! Fanchon était la plus accro stakhanoviste mais pas la moins bavarde, elle nous damait le pion à chaque séance... Je pense même au bout du compte que c'est elle qui avait inventé et le mot et la chose. Maintenant, je vais vous faire un aveu, chaque fois que je saisis une paire de ciseaux, que j'introduis mon pouce et mon majeur dans ses anneaux, je me retrouve exactement cinquante ans après dans la situation mentale qui était la mienne au moment des découpations...
Je vous reparlerai un jour de Fanchon... Tiens, de nos randonnées ... Nous accrochions à son vélomoteur ma bicyclette avec un tendeur, élastique... Intrépide elle me tractait, à plus de quarante à l'heure, bien plus dans les descentes, on le savait, elle avait un compteur ! sans casque... nous aurions dû nous tuer cent fois... même qu'un jour dans notre attelage incertain, on s'est viandés dans un fossé du côté de Saint-Benoît, de Ligugé, la faute à un virage imprévu et serré, sans dommages et sans nous vanter...
Nous sommes vivants, l'un et l'autre... Mais morts l'un pour l'autre puisque nous ne nous sommes pas revus depuis quarante-cinq ans...
et oui mon cher ami..
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